Heureusement que je ne suis plus humaine. J'ai beau ne pas me souvenir, vu l'état dans lequel sont les humains par cette chaleur je m'estime chanceuse. Ils sont épuisés, la chaleur semble former une sorte de mur entre les gens. Alors que d'habitude malgré l'incapacité à comprendre l'autre, il y a échanges de regards, analyses perspicaces. Mais il me semble surtout que d'habitude, les humains réussissent à dépasser leur monde à eux, leur personne, pour s'intéresser un peu au monde des autres. La chaleur semble les embrumer, les enfermer dans leurs souvenirs et pensées. Je ressens presque cette chaleur, juste en les ayant observés.
Le toit est un endroit qui n'a pas beaucoup de succès. Je ne comprends pas pourquoi mais ça m'arrange. L'été prolonge la durée du jour. J'irais lire pourquoi à la bibliothèque demain. Un silhouette me surprend. Je pensais avoir pour seule compagnie mes cigarettes, dans ma situation l'expression clous de cercueils n'a plus de sens je dois déjà être enterrée quelque part.
C'est une silhouette masculine j'ai du mal à bien le voir parce que je suis allongée sur une de ces chaises longues un peu hideuses. Je me relève un peu, physiquement je lui donnerai autour de la vingtaine mais la question qui se pose est: est-ce un fantôme ou un humain? La différence entre les deux est que souvent des fantômes, un sentiment, une sorte d'aura quelque peu étrange émane. Il a une cigarette à la main. La mienne vient de se finir.
Il semble avoir cet air grave que donne la mort. Il semble avoir cette aura d'étrangeté. De plus, la majorité des humains se sont rabattus sur les salles climatisées de l'hôtel. Je penche vers le fantômesque.  
Pour une raison que je ne saurai exactement nommer, je suis curieuse.
J'aimerai savoir qui est ce fantôme. Pas forcément connaître son identité, je pense à son fonctionnement. Parfois on a cette impression, que quelqu'un ne fonctionne pas comme le reste. Je pense qu'il serait intéressant de l'analyser.
Menée par mes pensées, je suis debout et quelques secondes plus tard je me poste à sa droite. Je sors une cigarette, la flamme jaillit au bout de trois essais, je penche ma tête légèrement par dessus la rembarde pour voir son visage.
-Bonsoir, qui es-tu?
Peut être que j'aurais dû lui demander son prénom, prononcer une banalité, ça marche souvent mieux de tourner autour du pot avant de poser des vraies questions, peut être que la chaleur m'affecte moi aussi finalement.

J'inspire, je ne sais vraiment quel genre de réaction m'attend, la fumée dans mes poumons me permettra de retarder la mienne, de réaction.
-et toi t'es qui?
Je fronce les sourcils. Mais non, cette discussion ne parlera pas de moi, je me connais déjà, moi. Cela ne m'apporterait rien de nouveau, aucune information mobilisable. Si je ne réponds pas, il ne répondra pas. Il faut donc bien que je trouve réponse à sa question.
Instinctivement je détourne ma tête afin de réfléchir. Je suis un fantôme, je ne me souviens plus. Les humains se définissent par leur passé. Je n'ai plus de passé, devrai-je donc me définir par mon futur? Inspiration, pause, expiration.
-Je suppose... ...Je suis Salz. Je n'ai pas de passé et pourtant c'est ce passé inexistant qui m'a façonnée. Ainsi je suis les traces qu'aurait laissées un passé il y a longtemps oubliés sur un âme humaine. Si nous sommes notre futur, nos buts, nos choix alors je suis l'essai de comprendre les humains, la nature ou de façon plus générale l'univers. Je suis sans passé, ainsi ce qui nous définit n'est pas notre passé mais ce qu'il a fait de nous. Nous sommes donc, je pense, notre futur. Ainsi je réitère ma question, qui es-tu?
J'ai raisonné à voix haute. Ce n'était pas exactement prévu comme ça. Ma réponse à sa question fut moins brève, moins futile que prévu. Au moins je peux espérer avoir une réponse utile et intéressante. Sauf si je me suis trompée et si ce fantôme ( ? ) est stupide et vide. Parfois la cigarette offre un charme aux âmes vides, alors, l'espace d'un instant, ils semblent porter en eux plus que ce n'est le cas.
J'expire une bouffée de fumée. Ma tête tournée vers mon interlocuteur, j'attends patiemment de voir une réponse à ma réflexion animer ses traits, la sienne.