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Eva ! Descend de la !
Tu tires la langue, tu n’as aucune envie de descendre de ton perchoir, ne mesurant pas le danger. Acrobate, tu es un vrai petit singe, c’est pourquoi tu n’as pas eu le moindre problème pour te hisser jusqu’à cette branche. Tu ne te rends pas compte que tu es à 3 mètres du sol et qu’une chute peut se révéler dangereuse.
Ta mère t’appelle en bas, elle t'ordonne de descendre, mais tu ne veux pas.
-Descend tout de suite
Eva, c’est un ordre ! Tu vas tomber ! Mon dieu…
Tu es si bien sur ton perchoir, tu es plus haute que n’importe qui et tu peux observer le parc en son intégralité. Tu te sens un peu comme le maître des cieux. Le vent souffle doucement dans tes cheveux. Ce serait trop dommage de descendre maintenant alors que tu commences à peine à profiter de ce sentiment de liberté.
* *
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Tous ces gens penchés autour de toi, leur sourire, leurs yeux brillants. Toi, tu as le regard rivé vers l’emballage posé sur la table. Aujourd’hui est un jour spécial, aujourd’hui est ton anniversaire. Tu as 10 ans, ton premier âge à deux chiffres. Tu deviens une grande fille, comme dirait ta mère.
-Joyeux anniversaire petite mésange !
La voix chaleureuse de ton père résonne dans ton esprit. Toi tu n’as qu’une hâte, c’est d’ouvrir le paquet cadeau qui se trouve en face de toi. Tu te jettes dessus avidement, déchirant l’emballage sans remords.
-Alors
Eva, ça te plait ?
Émerveillée, tu découvres un petit appareil photo blanc. C'est un appareil numérique jetable pour enfant, avec une centaine de photos faisables sur la pellicule. Ravie tu l’attrapes avant de regarder dans l’objectif. Tu ris aux éclats, tu te sens grande, tu te sens artiste.
Tu viens d’avoir ton premier appareil.
* *
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-Maman…
Petite voix plaintive. Tu es fatiguée, la journée t’a épuisée.
-Oui mon coeur ?
Main dans la main avec ta mère, vous marchez dans les champs en direction de votre maison. Ton père devant vous, à quelques mètres. La campagne est d’un calme reposant aujourd’hui. Le soleil commence à se coucher au loin et quelques oiseaux volent dans le ciel. Ce sont eux qui ont toute ton attention.
-Comment ils font, les oiseaux, pour voler ?
Sourire maternel.
-Ils sont si léger que le vent les portent jusque dans les nuages.
Tu soupires. Toi aussi tu aimerais être un oiseau et pouvoir t’envoler au loin.
-J’aimerai être un oiseau moi aussi…
Tu pousses un soupir un peu las. Cela fait rire ton père. Tu fronces les sourcils. Tu ne trouves pas ça drôle, tu es sérieuse.
-Mais tu en est déjà un, petite mésange !
Tu aimes ce surnom, tu aimes quand ton père t’appelle comme ça. C’est comme une formule magique. Alors tu retrouves le sourire.
Tu lâches la main de ta mère et tu t’élances, courant à travers les champs, en riant. Tu bats des bras, comme s’ils étaient des ailes, prête à t’envoler.
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Ta première année d’étude supérieur démarre demain. Ca te fait tout bizarre de quitter la campagne de ton enfance pour la ville. Tu as l’impression de découvrir un autre monde. Il y a une multitude de gens, de nouveaux paysages, de l’agitation, du bruit, des bâtiments à pertes de vue… D’un côté ça te fait peur de te lancer dans l’inconnu, mais de l’autre, tu ne peux retenir un frémissement d’excitation. Tu as hâte.
Et puis il y a sûrement plein de nouvelles choses à découvrir avec ton objectif.
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Tu aimes la fac, tu aimes les études. Tu t’es fais de nouveaux amis, tu as démarré une nouvelle vie, tu as de nouveaux repères. C’est dur parfois, de vivre seule. Tes parents te manque et les cours sont parfois difficiles, mais tu t’accroches.
Et puis tu peux pleinement profiter de ta passion ici alors tu ne vas pas te plaindre.
Tu as d’ailleurs rencontré une fille du nom de Manon. Vous vous êtes tout de suite bien entendue, jusqu’à devenir absolument inséparable. Beaucoup s’accordent à dire que tout vous oppose. Manon, c’est une fille pleine d’énergie, sociable, drôle, franche et populaire. Toi tu es plus calme, timide, introvertie et mystérieuse. Mais vous êtes incroyablement complémentaires. C’est ton âme soeur, ta moitié, ta meilleure amie, l’épaule sur laquelle tu t’appuis.
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-Je range cette collection dans quelle étagère ?
Ta voix se perd dans le magasin. Tu es restée un peu plus tard pour aider à ranger aujourd’hui.
-Oulah, bonne question
Eva, je dirait plutôt dans les romans pour adultes, là-bas !
Tu hoches la tête avant de filer dans la direction indiquée. Cela fait plus d’un mois que tu as commencé à bosser à la librairie du coin. Tu as toujours aimé les livres alors c’est une activité intéressante. Ta patronne est d’ailleurs très gentille, et l’argent que tu gagnes te permet de vivre correctement de ton statut d’étudiante.
* *
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Les yeux remplis de joie en découvrant le résultat du concours, tu sautes dans les bras de Manon qui t’enlace. En première position se tient un nom: "
Gagnante: Eva Leto, 18 ans".
-Bravo championne ! Je t’avais dis que tu finirais première !
Tu lèves les yeux au ciel. Comment est-ce que vous auriez pu savoir ? C’était la première fois que tu participais à un concours de photographie, tu n’étais absolument pas certaine de gagner. D'ailleurs ça ne t’avais même pas traversé l’esprit. Tu as toujours eu du mal à avoir confiance en toi, alors de là à penser qu’un de tes clichés remporterait le grand prix...
-Première victoire dans ta carrière de talentueuse photographe,
Eva ! J’espère que tu ne m’oublieras pas quand tu seras riche et célèbre.
Tu lui souris, exaspérée.
-Mais oui c’est ça. De toute façon avant d’être célèbre j’ai encore du chemin à faire. Comme passer les exams de la semaine prochaine par exemple...
Clin d’oeil complice et éclat de rire. Tu as beau jouer les modestes, les résultats de ce concour te fait chaud au coeur. Tu es fière de ton travail, fière d’avoir gagner, fière de cette première victoire dans le monde de la photo.
Tes parents doivent être fière de toi.
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Tu as tendance à marcher lorsque tu es au téléphone, intenable. Tu tournes dans ton salon, l’appareil à la main, collé à ton oreil. C’est ta mère au téléphone, sa voix est différente, bien trop étrange. Quelque chose cloche, mais quoi ? Ca te stresse, tu ne sais pas ce qui se passe, mais tu sens que ça va arriver.
Et ça arrive.
Tu te figes, les yeux écarquillés. Tu veux parler, mais tu n’y arrives pas. Les mots se bloquent dans ta gorge, ta poitrine se sert. Qu’est-ce qu’il se passe ?
-Allo ?
Eva...ma chérie… je…
Nouveau silence. Et puis finalement, tu parviens à t’exprimer. Ta voix est frêle, tremblante, tu veux fuir cette conversation le plus vite possible.
-D’accord. Je… On se voit la semaine prochaine alors… Bisous maman, je t’aime…
Ta voix se brise, tu raccroches. Tu te laisses tomber sur ton lit, tu enfouis ta tête dans ton oreiller et tu laisses les larmes couler.
* *
*
L’enterrement était horrible. Tu ne t’es jamais sentie plus seule qu’à ce moment là. Tu ne saurais dire si tu étais triste à cause de ton propre chagrin ou bien de celui des membres de ta famille, en particulier ta mère. Elle semblait si brisée, si fragile… ça t’a fendue le coeur.
Adossée contre la fenêtre, tu regardes au loin, le regard perdu dans le vide. Tu n’entends pas ta grand mère arriver. Elle s’installe à côté de toi, puis dépose une boite sur ta gauche.
-Tiens… Ça appartenait à ton père. Il voulait te l’offrir.
Tu relèves la tête, remerciant de la tête ta grand mère. Tu te saisis de la boîte et tu l’ouvres. Un voile de tristesse tombe sur tes yeux lorsque tu découvres l’objet à l’intérieur. Il s’agit d’un vieil appareil photo, un instantané. Celui de ton défunt père.
Tu souris faiblement, te saisissant de l’objet. Il est magnifique, un peu rétro mais magnifique. Et les larmes coulent une nouvelle fois.
* *
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L’été est arrivé, les cours se sont terminés, et la vie a repris son cours. Pourtant cela reste toujours aussi douloureux. Le manque est là, et tu en souffres. Ta mère aussi ne va pas bien, elle à du mal à s’en remettre. Après tout, c’était l’homme de sa vie.
Adossé contre la vitre du train, tu regardes le paysage défiler. C’est fou comme la vie est fragile. Les humains y sont reliés par un fil tellement fin qu’un rien suffit à déchirer.
Tu serres les dents, c’est quand même trop con. Un accident de la route, ce genre de chose qui n’arrive qu’aux autres jusqu’à ce que ça touche quelqu’un de ton entourage. Maudit chauffeur qui s’est endormi en conduisant.
Tu te sens vide, tu te sens triste. Alors tu as décidé de faire un break, changer d’air. Une partie de ta famille habite un peu plus au sud et ils t’ont proposé de venir les voir. Tu as dégoté un hôtel là-bas, un lieu plutôt sympa qui te fera office de toit.